Le Bonheur national brut (BNB) est né de la réalisation du fait que le paradigme de développement des années 1970, exclusivement mesuré à travers les hausses et les baisses du PIB, ne se traduisait pas par un bonheur en augmentation ou en diminution. Le BNB repose plutôt sur la notion selon laquelle l’argent ne fait pas le bonheur et que le progrès matériel, s’il contribue au bien-être, n’en constitue pas le facteur le plus important.
Pour atteindre le BNB, une stratégie en quatre parties, surnommée « les quatre piliers du BNB », a été adoptée par le gouvernement royal du Bhoutan :
- Développement socio-économique durable et équitable
- Préservation et promotion de la culture
- Protection de l’environnement
- Bonne gouvernance
1. Développement socio-économique durable et équitable
La durabilité représente la responsabilité morale de chaque génération de garantir que son confort ne soit pas assuré au détriment des ressources et opportunités des générations futures. Le principe de durabilité incite à modérer la consommation en fonction des besoins réels.
En atterrissant au Bhoutan, on remarque l’absence de tout panneau publicitaire. À l’aéroport international de Paro, vous serez accueilli par une affiche géante du couple royal, le cinquième roi et son épouse. C’est le seul panneau que vous verrez au cours de votre séjour. Si vous venez de Bangkok, de Singapour ou de New Delhi, où les énormes panneaux colorés et aveuglants sont légion, le changement sera frappant. Au Bhoutan, la publicité est interdite afin de ne pas encourager le consumérisme.
L’équité signifie que les avantages du développement doivent être équitablement répartis entre tous les secteurs de la société, aux niveaux régional et communautaire.
Il estconnu que les touristes se rendant au Bhoutan doivent s’acquitter d’une sommede 250 $ US par personne et par jour. Ce forfait tout-compris inclutle logement et le transport dans le pays, un guide, la nourriture et lesvisites. Il est moins connu qu’une partie de ce forfait est constituée deroyalties (environ 65 $ US par touriste et par jour) utilisées par legouvernement pour financer des secteurs sociaux. Laconstitution du Bhoutan charge le gouvernement royal de fournir « un accèsgratuit aux services de santé publique de base de médecine moderne ettraditionnelle » et « l’éducation gratuite à tous les enfants en âge d’êtrescolarisés jusqu’en classe de seconde ». L’ensemble de la société bhoutanaisebénéficie ainsi du tourisme, l’accès gratuit aux soins et à l’éducation étant pourainsi dire payé par les touristes qui visitent le pays.
2. Préservation et promotion de la culture
La culture est considérée par le BNB comme un ensemble d’outils qui définissent nos valeurs, façonnent notre identité et nos expressions et guident nos pratiques, nos relations et nos comportements.
Le Bhoutan n’a jamais été colonisé. Pour un petit pays enclavé entre l’Inde et la Chine, la préservation et la promotion de son identité culturelle sont considérées comme essentielles à sa survie en tant qu’État souverain et indépendant. Son riche héritage a été protégé par son isolation du monde moderne jusqu’aux années 1960. La politique « une nation, un peuple » instituée en 1989 constituait une tentative de consolider la culture locale tout en l’ouvrant au monde. Dans le cadre de cette politique, le Driglam Namzha, un code de conduite du XVIIe siècle, a été renforcé : il définit comment les citoyens doivent s’habiller en public et se comporter dans un contexte officiel. Il régit également certaines ressources culturelles, comme l’art et l’architecture.
Au Bhoutan, les articles du quotidien sont encore largement fabriqués de la même manière qu’il y a plusieurs siècles. De nombreuses écoles d’art existent et forment aux 13 arts et métiers traditionnels du pays (les Zorig Chusum). Les étudiants se spécialisent en peinture (thangkas, fresques murales, etc.), menuiserie (maçonnerie de temples, sculpture de masques), construction de statues (en argile, bois, bronze, etc.), confection textile (bottes, vêtements), etc. Les écoles contribuent à la préservation de la culture traditionnelle tout en assurant une source de revenus futurs à leurs étudiants.
Enfin, dans la philosophie du BNB, le bonheur est avant tout une question de relations : partager, se préoccuper d’autrui, avoir des amis et savoir que vous n’êtes pas seul.
Tsering m’a dit : « le vrai bonheur, c’est de chérir les autres. Le bonheur, c’est s’asseoir et manger ensemble. L’un de nos passe-temps favoris est de raconter des histoires. Ces histoires, comme les contes populaires, permettent non seulement de transmettre notre culture et nos valeurs à nos enfants, mais renforcent également nos rapports familiaux et créent des liens entre ceux qui les écoutent ».
3. Protection de l’environnement
Le troisième pilier du BNB concerne l’espace dynamique dans lequel nous vivons tous. Il souligne que notre mode de vie devrait s’adapter à la nature et aspire à ce que l’homme et la nature vivent en harmonie.
En arrivant au Bhoutan en avion, sa nature immaculée vous subjugue. D’immenses vallées, des gorges étroites, des montagnes majestueuses et d’épaisses forêts à perte de vue, qui couvrent actuellement 71 % du territoire. Les Bhoutanais ont toujours essayé de vivre en harmonie avec la nature. Le gouvernement considère d’ailleurs la santé de sa faune, de sa flore, de son environnement et de sa biodiversité comme une préoccupation quotidienne. Le Bhoutan est le seul pays au monde à bilan carbone négatif et s’est engagé à rester à jamais neutre en carbone.
- Constitutionnellement, le Bhoutan réserve 60 % de son territoire aux forêts (quelles que soient les circonstances).
- L’objectif du gouvernement est que le pays ait adopté une agriculture 100 % biologique d’ici 2020.
- L’alpinisme au-delà des 6 000 mètres d’altitude est interdit depuis 1994 pour protéger la nature et ne pas déranger les divinités vivant sur chaque sommet.
- En 2015, 100 volontaires bhoutanais ont établi un nouveau record du monde en plantant 49 672 arbres en une heure. En 2016, des dizaines de milliers de personnes sont venues célébrer la naissance du prince Jigme Namgyel Wangchuck en plantant 108 000 jeunes arbres.
“Dans le bouddhisme, un arbre donne et nourrit la vie sous toutes ses formes. C’est un symbole de santé, de longévité, de beauté et même de compassion.”
Un jour, j’ai dit à Ugyien, un guide local, que les forêts bhoutanaises semblaient encore plus vertes et plus belles que les forêts suisses. Il m’a répondu : « Bien sûr, Ariane. Dans nos dévotions quotidiennes, nous incluons tous des prières pour notre nature, nos montagnes, nos rivières et nos forêts. »
4. Bonne gouvernance
La bonne gouvernance est considérée comme un pilier essentiel du BNB car elle est incontournable pour assurer la solidité des trois autres piliers.
Le quatrième roi a décidé de transformer le pays d’une monarchie absolue en monarchie constitutionnelle, en dépit des protestations de la population à laquelle le leadership royal convenait parfaitement. Il a insisté sur le fait qu’il n’était pas raisonnable de laisser un pays aussi petit et vulnérable entre les mains d’un seul dirigeant choisi en raison de son sang et non de son mérite.
Pour résumer, le BNB est techniquement défini comme « une approche de développement multidimensionnelle visant à atteindre un équilibre harmonieux entre le bien-être matériel et les besoins culturels, spirituels et émotionnels de la société ». Il repose sur quatre piliers, eux-mêmes divisés en neuf domaines (comme les conditions de vie, l’éducation, la vitalité des communautés, l’utilisation du temps, etc.). Ceux-ci font ressortir en détail les différentes composantes du BNB et constituent le fondement de ses différents outils.
- Outil d’évaluation du BNB
Il vise à faire examiner par une commission l’ensemble des projets et politiques de développement à l’aune du BNB. Il est soutenu par 48 indicateurs pouvant donner un maximum de 192 points (48 x 4). Les projets ou politiques obtenant moins que le score neutre de 144 (48 x 3) sont rejetés. - Indice du BNB
Il sert à mesurer régulièrement le niveau de bonheur et de bien-être de la population. Il est soutenu par 33 indicateurs. Les résultats de l’enquête sont utilisés dans l’optique d’élaborer des politiques qui augmenteront le BNB du Bhoutan. L’indice étant culturellement lié au Bhoutan, il ne peut être exporté ou appliqué à d’autres pays. Il est toutefois très révélateur de la culture bhoutanaise et de ses valeurs intrinsèques. - Certification BNB
Elle a pour but de mesurer la responsabilité sociale et le respect du BNB par les entreprises. Elle est soutenue par 56 indicateurs.
* Centre du Bonheur National Brut : www.gnhcentrebhutan.org
Pour approfondir le sujet ou s’impliquer concrètement, voici le lien du mouvement BNB en Suisse (BNB-CH):
https://wiki.bonheurnationalbrut.ch